Hébron, petites histoires en vrac

Hébron, 5 mars 2003

Très chers,

J’avais commencé ce message il y a une heure, choisi un fond bleu, bleu comme le ciel d’aujourd’hui, un bleu printanier, une douceur retrouvée. Journée faite d’histoires denses, qui sont devenues si intensément part de mon quotidien, qu’il arrive qu’elles ne me choquent même plus.

Tant d’amour pour cette région, cet Hébron déchiré, fou; cette ville éclatée, écartelée. Terre alentours si belle, profondément troublante, ensorcelante. Vallonnements qui verts maintenant sont, moutons épars, vieux hommes, keffieh sur le crâne, grandes capes ou manteaux bruns sur leurs épaules, cheminant sur leurs ânes, le long de la route 60 qu’ils n’ont pas le droit d’emprunter, parce que c’est la route des colons, parce que c’est une route israélienne qui morcelle une terre palestinienne… Et passent les jeeps des soldats, et passent les tanks, et survolent les hélicos… Et passe le CICR, la petite déléguée qui tente de plonger son regard dans le vert, dans le bleu, dans les nuages bas, dans les fleurs; qui écoute le rire et les larmes de Dina, et qui parfois s’arrête.

Hébron, 28 novembre 2002

Jérusalem, le 28.11.2002

Bonjour les amis,

Lettre débutée à Hébron qui est restée sur une table, tant pis, elle vous parviendra plus tard… Je repars bientôt dans cette ville qui subit le contre-coup de l’attaque du 15 novembre, perpétrée par un commando du Djihad islamique, durant laquelle 9 soldats et hauts officiers israéliens de Tsahal et 3 colons ont trouvés la mort. Les conséquences pour la population palestinienne de H2 sont dramatiques, avec un couvre feu drastique qui dure, sans trêve, depuis 14 jours. Des familles, particulièrement vulnérables, qui vivent proche du lieu de l’embuscade, sont sujettes quotidiennement tant aux attaques vengeresses des colons, que celle des soldats, qui ont perdu les leurs. Spirales de violence qui enflamment tous les Territoires occupés (seule Jéricho semble épargnée); villes qui retombent, les unes après les autres, aux mains des forces israéliennes ; ripostes, dialogue de sourds, fanatisme contre politique nationaliste ; espoirs qui s’assombrissent et vont jusqu’à mourir aux milieu des tanks qui sillonnent Hébron, des pierres lancées par les enfants palestiniens qui se risquent à sortir… J’essaye de poursuivre. Je me raccroche aux petits gestes, au soutien que l’on peut, parfois, apporter; aux discussions, négociations, sur le terrain que l’on a quelquefois, avec de jeunes, si jeunes soldats.

Jérusalem, 1er novembre 2002

Lors de la rédaction de mon petit post du 20 février, Al Kahlil, je pensais, naïvement sans doute, que mes lettres et mails pourraient, tels quels, offrir une mise en abîme; porter un éclairage sur des mécanismes anciens, qui se répètent, amères circonvolutions ; souligner des positions qui se rigidifient, en fonction du contexte politique, des enjeux. C’était oublier à quel point ils comportaient leur propre censure, écrits, pour la plupart, à mes parents, à qui je ne voulais, pouvais, tout dire. Échappatoires également parfois, me permettant de raconter des petits rien, et gommer, plus ou moins consciemment, les grands touts. Fuites, tentatives d’oubli, d’abstraction, pour me focaliser sur de petits moments « essentiels », qui pouvaient, peuvent, sembler insignifiants, mais qui me permettaient de mettre un peu de sens, ou d’espoir. Indispensable nécessité de revenir à l’échelle humaine, individuelle; à l’évènement isolé.

Il y a en effet bien plus de choses tues et de silences, que de réelles descriptions, voir d’analyses. Lacunaires, à trous et autres ellipses, en demi teintes… Les réalités auxquelles elles se rattachent sont cependant encore pregnantes; réactivées intensément lorsque l’actualité s’embrase; en embuscade également, émergeant, éparses, sans que je puisse toujours identifier les déclencheurs. Je tente quand même la retranscription fidèle, mais partielle, avec, en écho, une indispensable contextualisation, par le biais d’articles de presse, de souvenirs non partagés alors, de photos et de croquis.

Al Khalil

Éditoriaux et articles se succèdent dans la presse ces dernières semaines, dans Le Temps notamment, avec une tribune de Luis Lema A Hébron, l’enfer sans témoin, évoquant les frontières invisibles, les manœuvres politiques, l’impunité et le silence assourdissant; et une chronique d’Aline Jaccottet A Hébron, l’occupation à huis clos, qui décrit la vie dans cette ville scindée, déchirée, symbolisant plus que toute autre le conflit israélo-palestinien. Autant de réactions, d’analyses, de parole donnée, ou prise, aux Palestiniens sous occupation, aux colons nationalistes religieux et aux soldats qui les protègent, suite à la décision de Benyamin Netanyahou de ne pas renouveler le mandat des observateurs de la Présence internationale temporaire d’Hébron (TIPH), créée dans le cadre des Accords d’Oslo en 1997.

Croquis

Vieille ville de Jérusalem

Depuis peu, stylos, crayons et pinceaux, fusains, gomme et eau, doigts qui démangent, regard qui se pose, s’arrête, pensées qui s’envolent. Envie de m’essayer aux croquis, d’esquisser, raturer, corriger, pester et sourire, observer. Acquisition d’un petit ouvrage qui se balade du bureau au salon, de la terrasse à la table de la cuisine:  « Perspective et composition faciles. Des créations réussies tout simplement!« . Mais oui Lise Herzog, si simplement… Je réalise à lecture des titres de ses différents ouvrages, que tout semble facile, évident, et peste encore.