Archives mensuelles: juin 2018

Elle

 

La Nuit Africaine - "Deogratias"- Jean-Philippe Stassen

La Nuit Africaine – « Deogratias »- Jean-Philippe Stassen

Elle a des yeux couleurs de nuit, avec parfois des paillettes d’aube lorsqu’elle sourit, des éclairs de lumière lorsqu’elle rit, mais elle ne rit pas souvent. Elle a cette peau noire et chaude, couleur plus profonde sur son front, autour de ses yeux, sur son menton ; peau aux nuances éclatantes, riches, belles. Petite, hanches larges, formes généreuses qui chantent l’Afrique, celle, réelle des danses, formes et couleurs ; celle fantasmée, imaginée, transcendée.

Elle, et son français hésitant, ses phrases biscornues, avec parfois des mots tombés de nulle part, des mots créés par elle, qui ont un sens qui m’échappe, mais qui prennent tout leur sens. Elle, de qui on me disait « elle comprend peu, ne parle pas, ne s’ouvre pas ». Et pourtant, s’ils savaient… Au fil des jours et des rencontres, sans forcer, sur la pointes des pieds, décryptant jusqu’aux silences, plongeant dans le noir si dense… J’ai pu entrer, tout doucement, comme une ombre, dans son monde. Elle m’a raconté, avec ses mots, avec finesse et intelligence, avec la brutalité parfois de celle qui n’a plus rien à perdre, qui a trop vu, avec une lucidité crue et brûlante, son « là-bas », et son « lui ».

Les sirènes de Bagdad

Les Sirènes de Bagdad, de Yasmina Khadra, livre qui hante, pendant, après la lecture. Mots qui s’accrochent, images qui s’imposent. Logiques, que l’auteur décortique, analyse, fait exploser, qui nous remettent en question, qui mettent en lumière des réalités que l’on occulte, plus ou moins volontairement, que l’on tait, parce que les admettre nous est insupportable.

Regards crus et implacables sur la manière dont la haine s’installe, entraînant un être que rien ne prédisposait à la violence dans la spirale de la destruction. Au nom d’une humiliation profonde, de l’honneur du père bafoué ; au nom d’un enfant qui tombe sous les balles, d’un mariage qui finit dans un bain de sang. Khadra ne légitime rien, ni n’excuse. Khadra regarde et nous fait regarder. Khadra nous laisse réfléchir… Certes la rhétorique nous broie, nous fait parfois manquer d’air, à l’image de Bagdad, qui nous coupe le souffle, à l’image des harangueurs, quelques soient leurs bords.

Tropea, San Gerardo

Perdue dans une ruelle labyrinthique de Tropea. Ciel chargé, lumière particulière, qui rendait plus particulière encore cette cité, vestige de splendeurs passées, aux murs gorgés d’humidité, qui ne pouvait masquer sa lente chute, aseptiser une atmosphère de décomposition. Je n’ai pu faire taire les images du Parfum, ni les mots de Patrick Süskind, lors du premier regard, et de tous ceux qui ont suivi, sur cette insolite et belle petite ville calabraise. Je cherchais en vain un stylo, un semblant de papier. Besoin d’écrire, tenace, persistant. Comme une morsure.