Hébron, 28 novembre 2002
Jérusalem, le 28.11.2002
Bonjour les amis,
Lettre débutée à Hébron qui est restée sur une table, tant pis, elle vous parviendra plus tard… Je repars bientôt dans cette ville qui subit le contre-coup de l’attaque du 15 novembre, perpétrée par un commando du Djihad islamique, durant laquelle 9 soldats et hauts officiers israéliens de Tsahal et 3 colons ont trouvés la mort. Les conséquences pour la population palestinienne de H2 sont dramatiques, avec un couvre feu drastique qui dure, sans trêve, depuis 14 jours. Des familles, particulièrement vulnérables, qui vivent proche du lieu de l’embuscade, sont sujettes quotidiennement tant aux attaques vengeresses des colons, que celle des soldats, qui ont perdu les leurs. Spirales de violence qui enflamment tous les Territoires occupés (seule Jéricho semble épargnée); villes qui retombent, les unes après les autres, aux mains des forces israéliennes ; ripostes, dialogue de sourds, fanatisme contre politique nationaliste ; espoirs qui s’assombrissent et vont jusqu’à mourir aux milieu des tanks qui sillonnent Hébron, des pierres lancées par les enfants palestiniens qui se risquent à sortir… J’essaye de poursuivre. Je me raccroche aux petits gestes, au soutien que l’on peut, parfois, apporter; aux discussions, négociations, sur le terrain que l’on a quelquefois, avec de jeunes, si jeunes soldats.
Conquise par Israël durant la guerre des Six-Jours, Hébron abrite le Caveau des Patriarches / Sanctuaire d’Ibrahim, lieu saint pour les juifs comme pour les musulmans. C’est dans cette ville, peuplée de 130’000 Palestiniens que fut fondée en 1968 par quelques dizaines d’extrémistes de droite la première colonie juive, illégale, de Cisjordanie. Le gouvernement israélien, après de longues négociations, les a autoriser à s’installer dans les anciens quartiers juifs de la ville, et à fonder Kiryat Arba ( 5000 colons en 2001; 7’300 en 2016).
Le 15 janvier 1997, Yasser Arafat et Benyamin Netanyahou, alors premier ministre, ont conclu des accords selon lesquels l’Autorité palestinienne récupérait la plus grande partie d’Hébron (la zone «H1» comptant 100 000 habitants) alors qu’Israël gardait le contrôle de «H2» (35 000 Palestiniens), zone dans laquelle résident 400 colons extrémistes protégés jour et nuit par l’armée. Suite à l’attaque du 15 novembre, Ariel Sharon a autorisé Tsahal à reconquérir «H1», qui a aussitôt été bouclée et placée sous un régime de couvre-feu permanent.
Destructions de maisons, arrestations massives, attaques des civils palestiniens par des colons armés, soutenus par les soldats, checkpoints et contrôles, patrouilles militaires incessantes, slogans injurieux et menaçants peints sur les murs des habitations palestiniennes de la vieille ville, intimidations et humiliations… Tel était le quotidien. Une punition collective, soutenue politiquement.
Terre d’enjeu, encore, et toujours. De nouvelles colonies voient le jour. Les colonies implantées se développent. Et il y a peu, Benyamin Netanyahou, en campagne, fort de ses appuis (et quels appuis…), déclarait prévoir l’annexion des colonies israéliennes en Cisjordanie occupée en cas de réélection : « J’appliquerai la souveraineté israélienne sans faire de distinction entre les (plus grands) blocs de colonies et les colonies isolées ».
Jérusalem, le 29.11.2002
Israël en état de choc après les attentats au Kenya et la dernière attaque suicide d’hier, près du Lac Tibériade, dans laquelle 6 personnes ont été tuées. Dernière journée à Jérusalem avant de repartir pour Hébron. Cette pause ici a été plus que nécessaire. Besoin de prendre de la distance après ces 10 jours intenses. Besoin de dormir, de ne plus sursauter lorsque le téléphone sonne. Petite bulle légère tant est qu’il ne faut plus regarder les infos, se boucher les oreilles lorsque passe une ambulance, ignorer armes et soldats.
Sillonner les rues, pour marquer une présence. Intervenir aux checkpoints, pour qu’au moins passent les ambulances du Croissant Rouge Palestinien. Appeler, sans cesse, nuit et jour, « nos » agents de liaison de l’armée israélienne, à chaque ambulance bloquée, à chaque violation du droit international humanitaire. Coordonner, documenter, recueillir les paroles, faire des humiliations des rapports… tout en étant consciente, que ce n’était qu’un épisode de plus, que le mécanisme d’occupation, implacable, était en marche, et ce depuis si longtemps…
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