La Nuit Africaine – « Deogratias »- Jean-Philippe Stassen
Elle a des yeux couleurs de nuit, avec parfois des paillettes d’aube lorsqu’elle sourit, des éclairs de lumière lorsqu’elle rit, mais elle ne rit pas souvent. Elle a cette peau noire et chaude, couleur plus profonde sur son front, autour de ses yeux, sur son menton ; peau aux nuances éclatantes, riches, belles. Petite, hanches larges, formes généreuses qui chantent l’Afrique, celle, réelle des danses, formes et couleurs ; celle fantasmée, imaginée, transcendée.
Elle, et son français hésitant, ses phrases biscornues, avec parfois des mots tombés de nulle part, des mots créés par elle, qui ont un sens qui m’échappe, mais qui prennent tout leur sens. Elle, de qui on me disait « elle comprend peu, ne parle pas, ne s’ouvre pas ». Et pourtant, s’ils savaient… Au fil des jours et des rencontres, sans forcer, sur la pointes des pieds, décryptant jusqu’aux silences, plongeant dans le noir si dense… J’ai pu entrer, tout doucement, comme une ombre, dans son monde. Elle m’a raconté, avec ses mots, avec finesse et intelligence, avec la brutalité parfois de celle qui n’a plus rien à perdre, qui a trop vu, avec une lucidité crue et brûlante, son « là-bas », et son « lui ».