H2
23 mars 2003
Bonsoir les amis,
Quelques lignes avant d’aller me coucher. Photo d’Hébron, encore. Grillage de partition entre H1 et H2. Soldats qui sans doute viennent de contrôler l’identité des hommes marchant en direction de cette grille, quotidiennement franchie lorsque le couvre feu n’est pas imposé, ce qui se fait de plus en plus rare… Par endroits les grillages sont remplacés par d’immenses blocs de ciments, par des fils de fer barbelés, des poubelles renversées, des tas de gravas. Parfois la frontière même est invisible et cependant connue, ressentie avec évidence. C’en est presque physique, comme si l’air se faisait plus rare, comme si le chant des oiseaux devenait inaudible. Tension palpable. H2 qui meurt en silence, qui explose cependant dans nos consciences lorsque simultanément explosent les bombes, meurent les soldats, les colons, les civils.J’essaye chaque jour de pénétrer dans cette zone, de rouler dans les étroites ruelles de cette vieille ville qui dût être si belle. Nœud au ventre, à chaque passage et tristesse lourde. Rares sont les passants. Je vois les visages aux fenêtres, les mains qui s’agitent. Parfois vole une pierre, fuse une insulte, lorsque je roule trop près des habitations des colons, que je sors du véhicule pour déplacer une entrave, un obstacle, délibérément posé, qui scinde, bloque, délimite, provoque. Maisons vieilles accolées, comme dans toute vieille ville du monde, habitées cependant par des frères ennemis. Les grilles de protection aux fenêtres, les positions militaires juchées sur les toits ne laissent aucun doute sur l’origine des habitants.
H2 mon amour, H2 mon cauchemar; H2 qui me hante et me fait parfois perdre les pédales… J’assiste en direct, impuissante, à l’agonie de cette vieille ville, agonie amorcée en 1967, agonie qui peut prendre encore des années, en râles lents ponctués de violence et de larmes, de révolte.
Il reste encore 30’000 palestiniens dans cette zone, mais chaque semaine est marquée par des départs: petites fourgonnettes parquées devant une habitation, valises et meubles chargés à la hâte, tristesse, et parfois même honte. Ils savent qu’ils ne reviendront jamais, ils savent que quelque part ils déposent les armes et cèdent, mais qui les blâmeraient ? Certains restent parce qu’ils n’ont pas le choix, d’autres parce qu’H2 est toute leur vie, leur mémoire, leur amour, leur terre, leur racines. Certains enfin, par idéologie, par combat, par haine. Mélange, peut-être, de toutes ces raisons… « Ma terre, ma ville, que tu revendiques », et raisonne de l’autre côté cet identique discours, morbide écho. Les juifs se sont fait expulsés suite aux massacre de 1929, 67 neufs d’entre eux avaient péris. Revenir est un acte de foi, porté par de dangereux fanatiques. Hébron la promise, la terre des Patriarches. Hébron berceau… mortelle Hébron.
Nos activités vont reprendre normalement demain. Plus de restriction de mouvements, plus de masques à gaz à trimbaler avec nous. Restons cependant prudent, à l’écoute.
Vous embrasse, et vous aime.
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