Palestine – Nomadis https://nomadis.ch Sat, 12 Feb 2022 18:02:39 +0000 fr-FR hourly 1 H2 https://nomadis.ch/2019/11/23/h2/ Sat, 23 Nov 2019 17:35:29 +0000 https://nomadis.ch/?p=437 23 mars 2003

Bonsoir les amis,

Quelques lignes avant d’aller me coucher. Photo d’Hébron, encore. Grillage de partition entre H1 et H2. Soldats qui sans doute viennent de contrôler l’identité des hommes marchant en direction de cette grille, quotidiennement franchie lorsque le couvre feu n’est pas imposé, ce qui se fait de plus en plus rare… Par endroits les grillages sont remplacés par d’immenses blocs de ciments, par des fils de fer barbelés, des poubelles renversées, des tas de gravas. Parfois la frontière même est invisible et cependant connue, ressentie avec évidence. C’en est presque physique, comme si l’air se faisait plus rare, comme si le chant des oiseaux devenait inaudible. Tension palpable. H2 qui meurt en silence, qui explose cependant dans nos consciences lorsque simultanément explosent les bombes, meurent les soldats, les colons, les civils.J’essaye chaque jour de pénétrer dans cette zone, de rouler dans les étroites ruelles de cette vieille ville qui dût être si belle. Nœud au ventre, à chaque passage et tristesse lourde. Rares sont les passants. Je vois les visages aux fenêtres, les mains qui s’agitent. Parfois vole une pierre, fuse une insulte, lorsque je roule trop près des habitations des colons, que je sors du véhicule pour déplacer une entrave, un obstacle, délibérément posé, qui scinde, bloque, délimite, provoque. Maisons vieilles accolées, comme dans toute vieille ville du monde, habitées cependant par des frères ennemis. Les grilles de protection aux fenêtres, les positions militaires juchées sur les toits ne laissent aucun doute sur l’origine des habitants.

H2 mon amour, H2 mon cauchemar; H2 qui me hante et me fait parfois perdre les pédales… J’assiste en direct, impuissante, à l’agonie de cette vieille ville, agonie amorcée en 1967, agonie qui peut prendre encore des années, en râles lents ponctués de violence et de larmes, de révolte.

Il reste encore 30’000 palestiniens dans cette zone, mais chaque semaine est marquée par des départs: petites fourgonnettes parquées devant une habitation, valises et meubles chargés à la hâte, tristesse, et parfois même honte. Ils savent qu’ils ne reviendront jamais, ils savent que quelque part ils déposent les armes et cèdent, mais qui les blâmeraient ? Certains restent parce qu’ils n’ont pas le choix, d’autres parce qu’H2 est toute leur vie, leur mémoire, leur amour, leur terre, leur racines. Certains enfin, par idéologie, par combat, par haine. Mélange, peut-être, de toutes ces raisons… « Ma terre, ma ville, que tu revendiques », et raisonne de l’autre côté cet identique discours, morbide écho. Les juifs se sont fait expulsés suite aux massacre de 1929, 67 neufs d’entre eux avaient péris. Revenir est un acte de foi, porté par de dangereux fanatiques. Hébron la promise, la terre des Patriarches. Hébron berceau… mortelle Hébron.

Nos activités vont reprendre normalement demain. Plus de restriction de mouvements, plus de masques à gaz à trimbaler avec nous. Restons cependant prudent, à l’écoute.

Vous embrasse, et vous aime.

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Hébron, petites histoires en vrac https://nomadis.ch/2019/11/21/hebron-petites-histoires-en-vrac/ Thu, 21 Nov 2019 13:53:22 +0000 https://nomadis.ch/?p=416 Hébron, 5 mars 2003

Très chers,

J’avais commencé ce message il y a une heure, choisi un fond bleu, bleu comme le ciel d’aujourd’hui, un bleu printanier, une douceur retrouvée. Journée faite d’histoires denses, qui sont devenues si intensément part de mon quotidien, qu’il arrive qu’elles ne me choquent même plus.

Tant d’amour pour cette région, cet Hébron déchiré, fou; cette ville éclatée, écartelée. Terre alentours si belle, profondément troublante, ensorcelante. Vallonnements qui verts maintenant sont, moutons épars, vieux hommes, keffieh sur le crâne, grandes capes ou manteaux bruns sur leurs épaules, cheminant sur leurs ânes, le long de la route 60 qu’ils n’ont pas le droit d’emprunter, parce que c’est la route des colons, parce que c’est une route israélienne qui morcelle une terre palestinienne… Et passent les jeeps des soldats, et passent les tanks, et survolent les hélicos… Et passe le CICR, la petite déléguée qui tente de plonger son regard dans le vert, dans le bleu, dans les nuages bas, dans les fleurs; qui écoute le rire et les larmes de Dina, et qui parfois s’arrête.

J’avais le bleu choisi, et il pourrait devenir rouge. Je viens d’entendre les nouvelles, Haïfa et son suicide bomber, 15 morts, 40 blessés. L’homme venait apparemment d’Hébron. Il ne manquait plus que ça. Les mesures de représailles risquent à nouveau d’être terribles. L’Autorité palestinienne a condamné l’attentat qui «ne sert pas la lutte des Palestiniens et ne fait que noircir leur nom», tout en faisant valoir le nombre important de morts palestiniens au cours des dernières semaines, 157 depuis début janvier en Cisjordanie et à Gaza. Tout se voile, à nouveau. Le printemps meurt un peu, le ciel s’obscurcit… Jusqu’à demain, un autre demain, bleu, rouge ou vert, noir peut-être; jusqu’à après-demain dont la teinte est incertaine, imprévisible. Tout bascule si rapidement, vrille… pas de signal d’alarme, parfois des intuitions, un malaise perceptible.

Tant d’amour, d’attachement, de liens. Un lien quasi charnel. J’aime l’odeur de la terre, tout comme celle de cette vieille ville enclavée. J’aime les visages, les baisers rapides des vieilles femmes des campements bédouins, leurs effluves de feu de bois et de bétail, leurs robes larges aux broderies fines. Leur dignité, dense.

Je ne peux imaginer un après sans Dina, je ne peux imaginer un après détaché, je ne peux imaginer un après… Ce n’est pas tant que la fameuse distance tant discutée n’existe plus déjà… Bien sûr que lorsque j’écris maintenant l’émotivité est forte, prend le dessus. Bouillonnement d’émotions, douces et chaudes lorsqu’elles sont liées à un décor, un paysage, des visages; douloureuses lorsqu’elles se rattachent au quotidien, aux histoires confiées, aux témoignages, aux humiliations incessantes et à la violence. Frustration parce que les contacts peuvent parfois être, sur une base personnelle, si enrichissants, constructifs, humains…: un colon qui me propose un manteau alors que tombe la neige; des soldats qui me parlent de droit humanitaire, de leurs vies, leur envie d’être ailleurs. Amitiés et liens qui existent également entre les frères ennemis. Mais se greffent sur la complexité de ces relations personnelles d’autres enjeux, d’autres discours et une politique implacable.

 

Petites histoires en vrac, petits bouts de quotidien, parce que je veux que le bleu demeure un peu. Il y a quelques jours, nous avons failli nous faire écraser, littéralement, par un bulldozer (ça ne commence pas très bleu, je vous l’accorde). Il s’était mis brusquement à faire une marche arrière, à une vitesse affolante, alors que pendant presque dix minutes j’étais restée bloquée derrière lui. Je recule, à grande vitesse également, Dina hurlant à mes côtés. Puis finalement, après d’implacablement longues secondes, le réflexe de klaxonner atteint finalement mes sens. Le chauffeur n’entend cependant rien, semble ne pas réaliser ce qui se joue. Je vois jaillir des soldats, criant à leur tour, lui faisant signe de s’arrêter… ce qu’il fait, enfin, dans un crissement terrible. Je suis sortie de la Land Cruiser, tremblante. Le chauffeur était blême, la tête entre ses mains: « Imagine ce qui serait advenu si j’avais percuté quelqu’un, un humanitaire qui plus est… ». Crise de fou-rire ensuite, hystérique, nerveuse, incontrôlable, presque douloureuse. Mal au côtes, au milieu de ses soldats, bulldozers et autres jeeps. Jeunes, si jeunes soldats, supervisant la construction d’une route illégale entre une colonie et le tombeau des Patriarches, isolant plus encore des habitations palestiniennes; veillant à la sécurité des travailleurs. Et rit le CICR, et rient les soldats. Ce n’est ni bleu, ni noir. C’est sans teinte, tout simplement grotesque et surréaliste. Depuis klaxonne le bulldozer lorsque nous passons, pour documenter la progression de cette excroissance, cette route-mur; et les mains des soldats s’agitent. Dina sourit.

Autre histoire de soldat… celui qui ferme les yeux sur mes incartades et me laisse passer, sans contrôle, avec une femme à l’arrière de la Land Cruiser sur le point d’accoucher, ainsi que son mari et sa mère, à tout allure et qui, lorsque je le remercie le lendemain, me prends subrepticement la main et me dit « j’admire ce que tu fais, continue… ». Il est clair que je n’aurais pas à dire merci, ou plutôt, il est clair qu’il ne faudrait ni soldats, ni poste de contrôle. Mais c’est bleu quand même.

Blanc cette fois, autre check-point, autre soldat, qui m’appelle la « fille de la neige » car j’ai réussi il y a quelques semaines à rejoindre Jérusalem sur une route déclarée fermée, en raison des conditions météos, et qui me dit que c’est la première fois qu’il a l’impression de ne pas être détesté par un « étranger », tout ça parce que j’ai passé dix minutes avec lui à attendre le feu vert de ses supérieurs, et que nous avons parlé et ri.

Bleu tendre enfin, avec des touches de jaune dense, tant admiration et tendresse sont fortes… Visite d’une famille palestinienne dont le toit est occupé par des soldats depuis…10 ans! Ils « vivent ensemble », cohabitation surréaliste. Le couple en a tant vu. Vieux couple magnifique, qui se dispute sans cesse. Elle qui m’embrasse toujours, parle de ses maux de ventre, de dents, du caractère insupportable de son vieux mari. Lui qui me regarde du coin de l’œil, et me glisse qu’elle n’est pas malade, qu’elle radote… Et marchent au-dessus de nos têtes les soldats. Dix ans, maison qui qui n’est plus vraiment la leur, vie sans intimité, les forces d’occupation installée sur leur rooftop. Ce n’est pas de la résignation. De la dignité, tout simplement.

Voilà, je m’arrête. Vous embrasse tendrement, vous aime. Me dis que finalement, l’amour est ce qui restera aussi de cette mission, surtout… Être claire, savoir s’émerveiller encore, savoir être touchée; savoir aimer, malgré tout. Garder les yeux ouverts, sans honte, ni sur ce que je suis, malgré les failles, les ambiguïtés; ni sur ce que sont les autres… humains, si tragiquement complexe. Essayer de ne pas juger, même si c’est dur.

Lettre précédente

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Hébron, 28 novembre 2002 https://nomadis.ch/2019/04/10/hebron-28-novembre-2002/ Wed, 10 Apr 2019 16:51:48 +0000 https://nomadis.ch/?p=356 Jérusalem, le 28.11.2002

Bonjour les amis,

Lettre débutée à Hébron qui est restée sur une table, tant pis, elle vous parviendra plus tard… Je repars bientôt dans cette ville qui subit le contre-coup de l’attaque du 15 novembre, perpétrée par un commando du Djihad islamique, durant laquelle 9 soldats et hauts officiers israéliens de Tsahal et 3 colons ont trouvés la mort. Les conséquences pour la population palestinienne de H2 sont dramatiques, avec un couvre feu drastique qui dure, sans trêve, depuis 14 jours. Des familles, particulièrement vulnérables, qui vivent proche du lieu de l’embuscade, sont sujettes quotidiennement tant aux attaques vengeresses des colons, que celle des soldats, qui ont perdu les leurs. Spirales de violence qui enflamment tous les Territoires occupés (seule Jéricho semble épargnée); villes qui retombent, les unes après les autres, aux mains des forces israéliennes ; ripostes, dialogue de sourds, fanatisme contre politique nationaliste ; espoirs qui s’assombrissent et vont jusqu’à mourir aux milieu des tanks qui sillonnent Hébron, des pierres lancées par les enfants palestiniens qui se risquent à sortir… J’essaye de poursuivre. Je me raccroche aux petits gestes, au soutien que l’on peut, parfois, apporter; aux discussions, négociations, sur le terrain que l’on a quelquefois, avec de jeunes, si jeunes soldats.

Conquise par Israël durant la guerre des Six-Jours, Hébron abrite le Caveau des Patriarches / Sanctuaire d’Ibrahim, lieu saint pour les juifs comme pour les musulmans. C’est dans cette ville, peuplée de 130’000 Palestiniens que fut fondée en 1968 par quelques dizaines d’extrémistes de droite la première colonie juive, illégale, de Cisjordanie. Le gouvernement israélien, après de longues négociations, les a autoriser à s’installer dans les anciens quartiers juifs de la ville, et à fonder Kiryat Arba ( 5000 colons en 2001; 7’300 en 2016).

Le 15 janvier 1997, Yasser Arafat et Benyamin Netanyahou, alors premier ministre, ont conclu des accords selon lesquels l’Autorité palestinienne récupérait la plus grande partie d’Hébron (la zone «H1» comptant 100 000 habitants) alors qu’Israël gardait le contrôle de «H2» (35 000 Palestiniens), zone dans laquelle résident 400 colons extrémistes protégés jour et nuit par l’armée. Suite à l’attaque du 15 novembre, Ariel Sharon a autorisé Tsahal à reconquérir «H1», qui a aussitôt été bouclée et placée sous un régime de couvre-feu permanent.

Destructions de maisons, arrestations massives, attaques des civils palestiniens par des colons armés, soutenus par les soldats, checkpoints et contrôles, patrouilles militaires incessantes, slogans injurieux et menaçants peints sur les murs des habitations palestiniennes de la vieille ville, intimidations et humiliations… Tel était le quotidien. Une punition collective, soutenue politiquement.

Terre d’enjeu, encore, et toujours. De nouvelles colonies voient le jour. Les colonies implantées se développent. Et il y a peu, Benyamin Netanyahou, en campagne, fort de ses appuis (et quels appuis…),  déclarait prévoir l’annexion des colonies israéliennes en Cisjordanie occupée en cas de réélection : « J’appliquerai la souveraineté israélienne sans faire de distinction entre les (plus grands) blocs de colonies et les colonies isolées ».

Jérusalem, le 29.11.2002

Israël en état de choc après les attentats au Kenya et la dernière attaque suicide d’hier, près du Lac Tibériade, dans laquelle 6 personnes ont été tuées. Dernière journée à Jérusalem avant de repartir pour Hébron. Cette pause ici a été plus que nécessaire. Besoin de prendre de la distance après ces 10 jours intenses. Besoin de dormir, de ne plus sursauter lorsque le téléphone sonne. Petite bulle légère tant est qu’il ne faut plus regarder les infos, se boucher les oreilles lorsque passe une ambulance, ignorer armes et soldats.

Sillonner les rues, pour marquer une présence. Intervenir aux checkpoints, pour qu’au moins passent les ambulances du Croissant Rouge Palestinien. Appeler, sans cesse, nuit et jour, « nos » agents de liaison de l’armée israélienne, à chaque ambulance bloquée, à chaque violation du droit international humanitaire. Coordonner, documenter, recueillir les paroles, faire des humiliations des rapports… tout en étant consciente, que ce n’était qu’un épisode de plus, que le mécanisme d’occupation, implacable, était en marche, et ce depuis si longtemps…

Lettre précédente

Suite

 

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Jérusalem, 1er novembre 2002 https://nomadis.ch/2019/03/22/jerusalem-1er-novembre-2002/ Fri, 22 Mar 2019 10:36:40 +0000 https://nomadis.ch/?p=338 Lors de la rédaction de mon petit post du 20 février, Al Kahlil, je pensais, naïvement sans doute, que mes lettres et mails pourraient, tels quels, offrir une mise en abîme; porter un éclairage sur des mécanismes anciens, qui se répètent, amères circonvolutions ; souligner des positions qui se rigidifient, en fonction du contexte politique, des enjeux. C’était oublier à quel point ils comportaient leur propre censure, écrits, pour la plupart, à mes parents, à qui je ne voulais, pouvais, tout dire. Échappatoires également parfois, me permettant de raconter des petits rien, et gommer, plus ou moins consciemment, les grands touts. Fuites, tentatives d’oubli, d’abstraction, pour me focaliser sur de petits moments « essentiels », qui pouvaient, peuvent, sembler insignifiants, mais qui me permettaient de mettre un peu de sens, ou d’espoir. Indispensable nécessité de revenir à l’échelle humaine, individuelle; à l’évènement isolé.

Il y a en effet bien plus de choses tues et de silences, que de réelles descriptions, voir d’analyses. Lacunaires, à trous et autres ellipses, en demi teintes… Les réalités auxquelles elles se rattachent sont cependant encore pregnantes; réactivées intensément lorsque l’actualité s’embrase; en embuscade également, émergeant, éparses, sans que je puisse toujours identifier les déclencheurs. Je tente quand même la retranscription fidèle, mais partielle, avec, en écho, une indispensable contextualisation, par le biais d’articles de presse, de souvenirs non partagés alors, de photos et de croquis.

Jérusalem, 1er novembre 2002

Bonsoir les amis,

Belle journée d’automne, passée à l’ouest, côté israélien. J’ai essayé de jouer à la touriste légère et décontractée, qui ne note qu’à peine la présence de l’armée dans les rues, qui ne réagit pas aux ambulances qui passent, qui ne voit ni la police, ni les contrôles de sécurité avant de pénétrer dans les restaurants ou les magasins, qui murmure quelques shaloms polis aux personnes qui la regardent avec un peu trop d’insistance ou de curiosité.

J’ai traversé de très beaux parcs, feuilles qui tombaient à mon passage. J’ai fait des achats, inutiles parfois, petits coups de coeur passagers : une bougie ocre qui sentait bon, un bougeoir trop petit pour être vrai, des chaussettes rigolotes aux couleurs éclatantes, des pierres pour des colliers que je ne confectionnerai jamais, des livres, des photos, des bonbons rouges chimiques, des encens. J’ai déambulé, souris, joué encore, illusion imparfaite, la petite étrangère sympathique et curieuse. J’ai fredonné une chanson juive, dont je voulais trouver le disque, dans un magasin de musique, devant un vendeur narquois qui ne l’a pas reconnue.

Puis je suis retournée à l’est, fatiguée de ce jeu, contente cependant de mes acquisitions hétéroclites. J’ai retrouvé une Jérusalem bruissante, telle que je la connais le mieux, telle que je l’aime, avec ses petites échoppes, ses femmes aux visages ceints de foulards, ses papiers dans les rues, ses odeurs. L’Orient, fantasmé, qui s’impose… Bruits de sirènes, lointaines, et musique, tout aussi assourdie, qui annonce le shabbat. Je reste fascinée par l’ouest, avec cependant une tristesse sourde qui s’installe, une distance nouvelle, accrue. Je ne veux pas inclure tous les israéliens dans des sentiments, ressentiments, jugements, pas toujours très sains ; mais je ne peux me défaire d’une certaine défiance, voire d’une rancune, comme si désormais, comme si déjà, le camps était choisi.

(c) L’Histoire

2002… Nous sommes à la fin de la deuxième année de la seconde Intifada, ou Intifada Al-Aqsa, deux années de répressions, de violences, d’attentats-suicides, d’opérations militaires dévastatrices, qui marquent également le début de la construction de la barrière de sécurité israélienne, du mur de séparation. Jérusalem, au coeur du conflit, ville scindée : Jérusalem-Ouest, annexée par Israël en 1948 et Jérusalem-Est, qui inclut la vieille ville et ses lieux saints, annexée par la Jordanie en 1950,  puis conquise lors de la guerre des Six jours par l’armée israélienne. Le 30 juillet 1980, la Knesset vote une « loi fondamentale » faisant de Jérusalem réunifiée, la capitale d’Israël. La communauté internationale n’a pas reconnu ces prétentions israéliennes déclarées « nulles et non avenues » sur une ville dont la population palestinienne est soumise, depuis, à des pressions multiples pour la contraindre à partir : extension des colonies autour de, et à l’intérieur de, Jérusalem-Est; isolement et ghettoïsation des quartiers palestiniens par des routes de contournement qui leurs sont interdites; citoyenneté au rabais pour les minorités arabes, qui ne disposent pas des mêmes droits que les juifs… (lire à ce sujet cet article sur La loi fondamentale de juillet 2018, faisant d’Israël « un Etat démocratique pour les juifs, et un Etat juif pour les autres»).

2002, début novembre… déjà 5 attaques-suicides à Jérusalem-Ouest. Un printemps meurtrier. Un climat de suspicion, de peurs. Une multiplication des barrages militaires. Des quartiers qui nous étaient interdits, potentiels cibles d’attaques. Nos bureaux, nos logements, étaient situés à l’Est, proche de la route 60 pour ce qui était de l’appartement dans lequel je suis restée quelques mois. Route qui, à cette époque, ne pouvait être empruntée par les palestiniens, restreignant tous les mouvements. Démarcation tangible. Cette route, que je suivais quotidiennement, pour me rendre a Hébron, a rapidement, symboliquement, forgé le « eux » et le « nous »; une appartenance qui n’en était cependant pas une, artificielle, et pourtant…  Une frontière de plus, mouvante. Je me suis rapidement rendue compte, alors que j’avais envie et besoin de comprendre, de sentir également le pouls de Jérusalem-Ouest, que franchir cette ligne me devenait de plus en plus difficile. Les escapades à l’Ouest se sont espacées, pour devenir quasi inexistantes.

… suite

 

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Al Khalil https://nomadis.ch/2019/02/20/al-khalil/ Wed, 20 Feb 2019 17:54:39 +0000 https://nomadis.ch/?p=292 Éditoriaux et articles se succèdent dans la presse ces dernières semaines, dans Le Temps notamment, avec une tribune de Luis Lema A Hébron, l’enfer sans témoin, évoquant les frontières invisibles, les manœuvres politiques, l’impunité et le silence assourdissant; et une chronique d’Aline Jaccottet A Hébron, l’occupation à huis clos, qui décrit la vie dans cette ville scindée, déchirée, symbolisant plus que toute autre le conflit israélo-palestinien. Autant de réactions, d’analyses, de parole donnée, ou prise, aux Palestiniens sous occupation, aux colons nationalistes religieux et aux soldats qui les protègent, suite à la décision de Benyamin Netanyahou de ne pas renouveler le mandat des observateurs de la Présence internationale temporaire d’Hébron (TIPH), créée dans le cadre des Accords d’Oslo en 1997.Les enjeux sont certes de taille à la veille des élections d’avril, et le premier ministre n’en est plus à sa première décision de se débarrasser de toute interférence internationale, de poursuivre sa stratégie d’expansion des colonies, de sécurisation extrême, de morcellement des terres, de déni, de mépris et de violations.

Et je ne peux empêcher, à lecture de l’article de Lema, que mes mots, écrits il y a plus de 16 ans, entrent en résonance; qu’images et souvenirs de cette année particulièrement tendue, pendant la seconde Intifada, à la veille de la guerre en Irak se bousculent. Lettres, sans doutes édulcorées, envoyées à mes parents et à mes proches, alors que je travaillais pour le CICR. Il est des choses que nous ne pouvions partager, il en est d’autres que je devais poser. Mots, pour tenter de comprendre, pour mettre une indispensable distance. Si je me propose de les publier sur ce blog, telles quelles, sans les retoucher, ce n’est pas tant pour leur valeur, en raison d’une plume qui se distinguerait. Elles sont simplement, tristement, les témoins d’une situation, qui, loin de se stabiliser, s’est pervertie. Valse morbide, circonvolutions, de dégradations en dégradations. Témoins également d’une mécanique destructrice, déjà si bien ancrée, d’une implacable stratégie.

Au fil des jours, à suivre, donc…

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